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La conjoncture marocaine avant 1939




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La conjoncture marocaine avant 1939


La pénétration française au Maroc ne s'est pas faite sans résistance. Quelques jours seulement après la signature de traite du Fès le 30 mars 1912, les troupes chérifiennes de la capitale et ses habitants se sont révoltés et ont massacré tous les européens qu'ils

ont rencontrés18. Il était clair que la France ne pourrait imposer son


autorité que par la force des armes. A cette fin, le gouvernement français a désigné comme Résident général un militaire, le général Lyautey le 27 avril 1912.


1- La mise en place du Protectorat :


a- la conquête du pays :


Unie directement à la conquête du Maroc, la Résistance armée opposé par les tribus des plaines et des montagnes représente le sautillement patriotique d'un peuple épris de liberté et brutalement attaché à son indépendance.


En même temps qu'il étend sa domination sur le Maroc, le protectorat met en place les institutions qui lui permettront et l'exploiter. Ces institutions sont issues du traité du protectorat, mais aussi un empiètement constant sur les prérogatives du Makhzen et une interprétation étroite du traité. Les milieux d'affaires français, ayant joué un rôle déterminant dans l'établissement du protectorat, sont vite attirés par les perspectives de profit, offertes par l'équipement et l'exploitation des richesses du pays. Ils vont créer, à coté de l'économie traditionnelle, une économie de type capitaliste, concentrée entre les mains d'un petit

groupe de sociétés et développée au profit d'une faible minorité19.


Pour justifier l'emploi de la force et faciliter la pénétration, la conquête est faite au nom du sultan et sous prétexte d'affermir son autorité sur l'ensemble de son Empire. Dans le Maroc une grande place est faite à l'action politique. Lyautey essaie de maitriser par la diplomatique : couper les régions insoumises les unes des autres, utiliser les tribus déjà soumises contre celles qui ne le sont pas encore, essayé de gagner à sa cause les grands caïds et s'appuyer sur eux. En effet '' le Maroc fut le théatre d'une glorieuse série d'événements et de combats qui indiquèrent aux Marocains, qu'ils doivent agir avec persévérance sut la voie du sacrifice, et au colonisateur qu'il ne devait s'attendre à aucun répit, puisqu'il se trouve dans l'antre du lion. Deux années à peine, après la conclusion du traité du protectorat, il y eut le premier sursaut, la bataille d'El Hri (1914), suivie en 1921 de la bataille d'Anoual, et en 1934 de Boughafer. Toutes ces batailles n'étaient pas menées isolement, puisque, elles étaient précédées, accompagnées ou suivis d'autres batailles de sensibilisation et du patriotisme, des luttes politiques insufflées aux enfants de ce pays par leurs parents - Dieu

les ait en sa miséricorde 20''.


b- La Résistance armée :


La résistance du peuple marocain au protectorat n'a jamais véritablement cessé. Elle a seulement pris des formes diverses en fonction de l'évolution de la situation d'ensemble du Maroc. Après une période de résistance armée menée jusqu'en 1934 par les paysans et pasteurs, la résistance a pris un caractère urbain et politique pour devenir à partir de 1950, lorsque les masses rurales se joignirent aux masses urbaines, une opposition véritablement nationale.


La résistance armée opposée par les tribus des plaines et des montagnes à la conquête française et espagnole n'est ni un

mouvement de nationalisme ni une révolte contre l'autorité du sultan, comme l'ont prétendu les autorités du protectorat pour justifier la répression. C'est la lutte d'un peuple qui conservé longtemps son indépendance, et qui refuse de reconnaitre le fait accompli et de se soumettre sans combat. Liée directement à la conquête du pays, cette résistance représente la seule forme de lutte valable à une époque où la décision appartenait encore aux armes.


Les tribus marocaines disposent de certaines occasions. Il résiste aux combats les plus meurtriers jusqu'à la dernière extrémité. Parlant du guerrier du Moyen-Atlas, le général Guillaume affirma :

'' Aucune tribu n'est venue à nous dans un mouvement spontané. Aucune ne s'est soumise sans combattre, est certains sans avoir épuisé, jusqu'au dernier, leur moyens de résistance ''21. '' Il sait sacrifier délibérément ses biens, sa famille et, plus facilement encore, sa vie''22.


Devant la pluralité de cette résistance et l'impossibilité d'en étudier tous les aspects, nous nous contenterons d'analyser les principaux.


Dans le Sud Marocain, dès l'annonce de la signature du traité du protectorat, les habitants, se considérant comme déliés de leurs engagements vis-à-vis du Makhzen, se sont regroupés autour d'El Hiba, fils du Cheikh Ma El Ainine et l'ont proclamé Sultan. El Hiba a lancé des appels à la résistance. Dès le mois de juillet, tout le Sous lui est acquis, de nombreux partisans arrivent de l'Oued Noun. El Hiba franchit l'Atlas et arrive à Marrakech où il est reçu avec joie par la population. A sidi Othmane, les troupes d'El Hiba commettent une erreur d'attaquer en désordre et en masse profonde. Cette erreur a causé le désastre des troupes d'El Hiba. Après cet échec, el Hiba a reculé vers tout le sud, où il a poursuivi la lutte jusqu'à sa mort en 1919. La résistance continuée par son frère et successeur jusqu'en 1934.

Le Maroc présaharien et saharien a renfermé les derniers bastions de la résistance : en 1932 dans le Tafilalet, 1933 dans le Haut-Atlas et le sud, et seulement en 1934 que les espagnols après plusieurs tentatives infructueuses, mettent fin à la résistance de Sidi Ifni.


Malgré ce déploiement de forces et de technique militaire, la conquête est longue et difficile. Sans tenir compte des régions occupées avant la proclamation du protectorat. Dans cette conquête la Maroc a connu deux étapes : la première (1912-1914) intéresse surtout le Maroc des plaines et des villes, le ''Maroc utile'' de Lyautey. Casablanca, et la région d'Oujda étaient déjà entre les mains des français en 1912. Le Haut Atlas et le sous sont successivement occupés. Cette occupation est facilitée par l'état d'épuisement dans lequel se trouve l'ancien '' Bled Makhzen '' et surtout par l'appui des grands Caïds. En 1914, quand la guerre commença en Europe, les plaines et les plateaux étaient soumis, et la liaison entre l'Oriental et l'Occidental fut assurée par la trouée de Taza. Cette activité guerrière pudiquement qualifiée de pacifique fut l'ouvre d'une armée expérimentée, l'armée d'Afrique, qui avait participé aux conquêtes coloniales. Pour limiter la perte en hommes des troupes régulières, commandées par les officiers des affaires indigènes, Lyautey dirigeait lui-même les opérations importantes.


La deuxième étape (1914-1920) s'attaque au Moyen Atlas. L'occupation du ''Maroc utile'', Parlant des combattants berbères présenter par la résistance armée Zaian, l'épisode la plus célèbre de la résistance Zaian fut dirigé par un héros légendaire Moha ou

Hamou23. En 1920, une autre résistance se développa dans une


région montagneuse du Maroc, dirigé par le leader Mohammed Ben Abdelkrim Khattabi24, un ancien Qadi de Melilla. Abdelkrim Khattabi souleva la tribu des Beni Ouiraghel, l'une des plus puissantes et batailleuses du Rif. Abdelkrim lutte pour idéal. Son rêve est de réaliser l'unité rifaine et de faire du Rif un état indépendant, discipline et riche, l'indépendance du rif une fois acquise et soutenue, il serait de conquérir l'indépendant du Maroc entier. L'exemple du rif ne manquerait pas de s'imposer aux autres peuples colonisés.


Pour réaliser son programme, Abdelkrim, dès les premiers succès remportés sur les Espagnols, il convoque les chefs de tribus et leur explique le but de son mouvement, décident la création d'un gouvernement national rifain et adoptent un programme d'action.


L'organisation militaire est analogue à celle de l'ancienne armée marocaine. Les Mehallas sont divisées en groupes de 100, 50 et 25 ayant chacun à sa tête un Caïd. Les troupes se composent de deux éléments principaux : les réguliers dont l'effectif est variable, mais

ne dépasse jamais 2 50025, sont répartis entre l'infanterie et


l'artillerie ; les artilleurs au nombre de 300 à 350 sont affectés aux batteries côtières, particulièrement à la surveillance de la baie d'al Hoceima, l'infanterie régulière est répartie en détachements multiples chargés d'étayer les harkas levées en pays rifains. La mobilisation est obligatoire pour tous les hommes en état de porter les armes, entre 16 et 50 ans.

L'origine du mouvement est liée directement à la politique conquérante de l'Espagne. Persuadé que le Rif renfermait richesses minières, le gouvernement espagnol en a décidé la conquête est le désastre d'Anoual. Une écrasante victoire à Anoual, sur le général espagnol Sylvestre qui s'était lancé dans des opérations offensives à travers le Rif. La déroute espagnole donna à Mohammed Ben Abdelkrim un énorme butin grace auquel fut créé le premier noyau de l'armée rifaine. Cette victoire est rapidement exploitée par Abdelkrim qui étend son autorité sur tout le nord du Maroc et rejette les Espagnols sur la cote. Ces succès militaires remportés par les montagnards rifains, étaient dus à d'exceptionnelles qualités de Ben Abdelkrim comme chef de guerre et comme initiateur d'une tactique de guérilla.


L'époque rifaine provoqua de violents remous dans les milieux politiques et une émotion profonde dans l'opinion française. Lyautey, qui s'était leurré, demanda son rappel le 24 septembre

1926 et fut remplacé par Théodore Steeg, ancien gouverneur de l'Algérie. Après la soumission du Rif, des vastes territoires échappèrent encore à la domination française.


2- L'opposition politique :


A l'annonce de la signature du traité de Fès (24 mars 1912), une vague de révolte secoua les tribus qui se rapprochèrent, dangereusement, de la capitale, rejoints par des soldats marocains ; mutins ; armés. Il semble que 20 000 hommes environs aient, alors, entrepris le siège de Fès, pendant qu'à l'intérieur des murs, on faisait fusiller une centaine de mutins.

S'ensuivit des émeutes, vite pilonnées par l'artillerie, en stationnement à Dar Mahraz, faisant plus d'un millier de mort, en quelques jours, parmi la population musulmane de Fès, les soldats insoumis et les éléments des tribus infiltrés dans la ville après le déclenchement de la mutinerie.

Cette insurrection, du 17 Avril 1912, traduisait le mécontentement général et une certaine exacerbation du sentiment patriotique à travers tout le pays. Aussi, dès le début de la présence française des bastions de résistance s'organisèrent un peu partout dans le pays s'insurgeant contre les expropriations massives et la sédentarisation forcée d'une grande partie de la population.

Au nord comme au sud, les tribus se concentrèrent et se concertèrent pour attaquer Fès ; malgré la présence des forces étrangères considérables ; leurs réactions à l'occupation, qu'elles soient courtes ou longues, furent sanglantes, à l'image du

''mouvement d'El Hiba'', de la ''résistance de Moha Ou Hamou Zayani'' ou encore de la ''Guerre de Abdelkrim Khattabi'' qui dura plus de cinq ans pour ne citer que ceux là, du fait qu'ils se démarquent, de par la spécificité de leur opposition, par rapport aux autres qui ont fait dans la résistance tribale et localisée. Ainsi, le

1er, dans son soulèvement, se fait proclamer Sultan, le 2ème lutta au


nom du Sultan et le 3ème conduisit une vraie guerre.


''Il faut qu'on se rende compte de la soudaineté et de la violence avec laquelle éclatent les mouvements au Maroc. Ce sont de vrais vagues de fond (.). Qu'on se rappelle l'invraisemblable et paradoxal mouvement d'ElHiba que (l'on regardait), à sa formation à Agadir, comme chose absolument négligeable, alors que, trois mois après, il était reconnu comme sultan par la moitié du Maroc et que je sentais, sous moi, l'autre moitié prête à m'échapper, les yeux tournés vers lui, enflammés d'un de ces élans de fanatisme musulman qui emportent tout'' 26. H. Lyautey


a- Le mouvement nationaliste marocain :


Après la défaite d'Abdelkrim et de la résistance des tribus, l'opposition a existé même pendant la période de résistance armée. Un grand mouvement de propagande est organisé dans les villes en faveur des combattants. Des prospectus y sont distribués invitant les habitants à soutenir le mouvement de libération d'Abdelkrim.


Des attaques sont lancées contre les centres militaires par des résistants qui se réfugient dans les montagnes non encore occupées. Autant de faits qui maintiennent en éveil la conscience nationale. La lutte passe du plan militaire au plan politique sans jugement.


C'est dans cette atmosphère d'énervement intellectuel, et de malaise économique que le protectorat va développer au lendemain du départ de Lyautey, une politique maladroite qui permettra aux jeunes marocains d'affirmer leur opposition ouverte27. De 1925 à

1930, de multiples incidents mettent aux prises l'administration et les jeunes nationalistes. Mais l'événement le plus grave, celui qui permet de cristalliser les différentes tendances et constitue le point de départ du mouvement nationaliste est le dahir du 16 mai 1930 plus couramment connu sous le nom de ''Dahir Berbère''28.

1- Dahir Berbère29 :


Ce dahir avait pour but l'adaptation de la 'Justice Berbère' aux conditions propres de l'époque et, de ce fait, correspondait à l'esprit de la politique inaugurée au Maroc par Lyautey quand il signa le dahir du 11 septembre 1914. La caractéristique fondamentale de cette politique consistait à préserver l'autonomie traditionnelle des Berbères, essentiellement dans le domaine juridique, en les soustrayant à la législation islamique, et en maintenant leur droit Coutumier. Elle reconnaissait et garantissait

l'application des lois coutumières berbères, mais sans préciser la nature de ces lois, ni stipuler quelles étaient les tribus dites 'berbères'. Ce fut le rôle de l'administration de régler ces deux problèmes, et de déclarer 'berbères' les tribus qui se soumettaient aux autorités militaires. Il faut rappeler que la population du Maroc, à cette époque, était considérée comme étant composée dans sa grande majorité de Berbères (plus des 3/4). Dans les premières années du Protectorat, cette politique ne provoqua aucune réaction, car elle entérinait un état de fait qui avait toujours existé. Cette politique, jusqu'en 1925, fit l'objet d'un grand nombre de dahirs et d'arrêtés viziriels destinés à la préciser et à en fixer les modalités

d'application30.



En conséquence, les tenants de l'assimilation pensèrent que si les Berbères pouvaient être préservés de toute influence arabe - donc musulmane - il serait possible d'en faire des 'Français' par le canal des juridictions françaises, des écoles françaises et de la religion chrétienne. De plus, il ne fallait pas oublier la 'ressemblance'

physique existant entre les Berbères et les paysans français31. De


telles affirmations ne pouvaient que choquer les Marocains et augmenter leur inquiétude, d'autant plus qu'elles émanaient d'hommes proches de la Résidence, chargés d'importantes fonctions. Il était donc normal que ces propos fussent considérés par les Marocains comme exprimant les tendances officielles de la politique française au Maroc. Ils ont voulu la faire connaitre dans tout le monde musulman, et en ont traduit l'essentiel qu'ils ont fait paraitre dans la presse du Moyen Orient.


Les autorités du protectorat ont cherché dès le départ à séparer les Arabes et des Berbères. Dès les premières années du protectorat, ont été promulgués des dahirs sur le droit coutumier et la justice en milieu berbère. La création en 1924 d'un collège franco-berbère à

Azrou, ne recrutant que dans le monde berbère et n'enseignant que les français et le berbère vise par la suppression de l'usage de la langue en arabe en milieu berbère et la réduction de l'enseignement religieux. La démocratie française visa d'inventer au Maroc un nouvel Etat comme disse le feu Sa Majesté Hassan II : '' on s'appuya sur des connaissances ethniques et linguistiques douteuses, mais surtout sur des féodaux et des chefs traditionnels sans scrupules, des ulémas aux idées rétrogrades et des cheikhs de confréries religieuses dont le prétendu mysticisme masquait une roublardise trop connue. Des coutumes archaïques prirent soudain force de loi. Des tribunaux nouveaux furent créés, animés par les officiers français des affaires indigènes, déclarés compétents en matière personnelle, mobilière et immobilière. Une importante partie de la population musulmane se trouva ainsi soustraite aux coutumes marocaines. Dans cette Berbèrie imaginaire, l'enseignement de l'arabe fut combattu et, l'unité linguistique berbère n'existant pas, la langue officielle devint le français. Dans les écoles, les enfants apprirent non seulement que leurs parents,

mais que leurs et eux-mêmes s'étaient trompés de religion''32.



Par le dahir du 16 mai 1930, en voulant entériner en droit ce qui existait en fait, les Autorités Françaises politiques dépassèrent, et de loin, ce qu'il eût été normal d'en attendre. Certes, le recul de la Résidence, par la promulgation du Dahir de 8 avril 1934 qui abrogeait l'article 6 du Dahir du 16 mai 1930, prouvait que la campagne de protestations avait porté ses fruits. Mais, contrairement à ce que certains historiens ont pu prétendre, cela ne signifiait en rien la fin de la politique berbère du Protectorat. Bien au contraire.


A l'occasion de la fête du Mouloud33 célébrée le vendredi 2 août

1930, Sa Majesté le sultan a adressé à son peuple un message qui a été lu dans toutes les mosquées lors du prêche de la prière de l'après-midi. Dans ce message, faisant allusion aux incidents provoqués par les opposants au Dahir, sur les tribunaux coutumiers, le Sultan a tenu à mettre ses fidèles sujets en garde contre une interprétation volontairement erronée ou tendancieuse de textes législatifs relatifs à la justice coutumière berbère, textes qui ne font que consacrer un état de faits auxquels les tribus elles-mêmes se montrent profondément attachées. Sa Majesté a défini en suite, dans son message toute la portée de ces textes qui, en aucune façon

ne portent atteinte aux lois fondamentales de l'Islam34.



En effet, les tribunaux coutumiers continuèrent à fonctionner, leur nombre augmenta, et il en fut de même pour les écoles franco- berbère dont l'influence grandit auprès des populations locales. Quant aux tribunaux de coutume, elles furent de plus en plus nombreuses à être régies, surtout après la reddition des Ait 'Atta qui résistait encore dans le Saghro, et en 1941, cinq nouvelles tribus étaient classées, par arrêté viziriel, parmi celles dans

lesquelles serait appliqué35. Il serait donc exagéré de penser que


l'échec - fort relatif - du dahir berbère ait eu des conséquences importantes quant à la poursuite de la politique de la France dans les tribus de coutume. Par contre, l'importance de cet épisode de la politique berbère du Protectorat réside essentiellement dans la prise de conscience par le mouvement nationaliste de son unité, fortifiée dans la lutte qu'il mena contre le dahir. Durant ces quelques années, 'Vieux Turbans' et 'Jeunes Tarbouches' virent leurs appréhensions et préjugés disparaitre au profit d'une action,

d'abord réformiste, puis très vite politique36. Si la défense de

l'Islam restera un principe fondamental de cette lutte, elle s'élargira à toute la société, et le 1er Décembre 1934, le Comité d'action Marocaine ouvrira une nouvelle phase de l'histoire du Maroc.


2- Les manifestations de Fès :



Le Dahir apparait comme un élément d'un vaste politique du pays. Il suscite une grande émotion au sein de la population et provoque un grand mouvement de protestation. Parti de Fès et Salé le mouvement touche toutes les villes et ébranle même la zone d'occupation espagnole. En absence de libertés politiques, le mouvement prenait la forme d'une protestation religieuse. Et ne tardait pas de dégénérer en manifestations dans les rues. Les manifestations de 1930 constituent le premier heurt violent entre les nationalistes et l'administration. Désormais le mouvement est lancé. Il jouit de l'appui d'une fraction importante de la population. Les nationalistes s'organisaient, intéresser l'opinion française au problème marocain, élaborer un programme de revendications politiques et lancer les idées susceptibles de leur attacher la masse de la population.


Tous les observateurs de l'époque avaient vu dans la visite royale de Fès et l'accueil réservé au Souverain un événement marquant dans la lutte pour la libération nationale. En mai 1934, Sidi Mohammed avait reçu un accueil majestueux et sans précédent. Le 10 mai 1934, des grandes manifestations patriotiques avaient eu lieu à Fès, ou le Sultan Sidi Mohammed Ben Youssef se

rendait à Fès à une prière solennelle à la mosquée de Karaouyine37,


à cette occasion, les nationalistes organisent une manifestation populaire, '' pour la première fois on entend crier ''Yahia El Malik !'' '' Vive le Roi !'' et non plus '' Yahia El Sultan'' la différence est d'importance. Le Malik peut être considéré comme un Souverain indépendant. mais il y a plus, la foule entonne

également des slogans hostiles à la puissance protectrice ''38.


Le Feu Roi Hassan II écrira dans son livre le défi : '' Le service d'ordre qui entourait celui qu'on appelait alors le ''Sultan'' avait été impuissant à contenir une immense foule qui lui faisait cortège, craint ''Yahyal al Malik !'' ''Vive le Roi !'' et aussi ''Vive le Maroc !'' Cet enthousiasme et ces cris furent jugés séditieux 39''.


La semaine suivante, Les manifestations furent cordonnées, le Résidant général Henri Ponsot, décidait d'imposer une escorte de la légion étrangère au cortége du souverain qui devait se rendre à la mosquée Karaouyine pour célébrer la prière de vendredi. Il déclara (le Résidant général) '' le service d'ordre de S.M le Sultan serait

assuré par la légion étrangère''40. Le souverain refusa l'escorte


qu'on voulait lui imposer et redoutent des incidents, et rendra immédiatement à Rabat. Un communiqué officiel de M. Ponsot affirma : '' S.M. Le Sultan, mécontent de l'accueil que lui a réservé la population de Fès et des manifestations qui ont eu lieu dans cette ville, a préféré regagner Rabat.41''. Après cette communication, les membres du Comité d'Action Marocain envoyèrent au souverain un télégramme lui renouvelant leur attachement et lui exprimant leur gratitude pour faire preuve et l'oligarchie de son attitude. Dix jours après le Sultan convoqua dans son Palais royal à Rabat les membres du comité, où il confirma que contrairement au communiqué de la Résidence, il n'avait pas quitté Fès qu'à regret pour éviter toute provocation. Cette rencontre a été le premier contact direct entre le Souverain et

les membres du Comité, encouragés à poursuivre leur action.



L'ère de libéralisme politique qu'ouvrait, en Juin 1936, l'avènement du Front populaire en France encouragea les espoirs, de par son programme censé se structurer autour de son slogan électoral

« Pain, Paix, Liberté » et de par ses revendications politiques inhérentes à la défense de la liberté et de la paix. (Désarmement relatif, promotion de la sécurité collective et de la négociation dans

le cadre de la SDN). Et a fortiori, du fait que certains membres composant son gouvernement faisaient partie des personnalités qui avaient protesté contre les guerres de conquête au Maroc, avaient accueilli avec sympathie la création du Comité d'Action Marocaine et avaient parrainé son plan de réforme.


Néanmoins, en politique extérieure, la question coloniale ne semblait, nullement, préoccuper ses signataires d'autant plus qu'en matière de colonisation, les réalisations furent difficiles en raison du profond conservatisme des colons, très puissants, et du dynamisme de certains mouvements politiques lnationaux qui préfèrent l'indépendance à l'égalité des droits. Toutefois, pour la

1ere fois un dialogue est ébauché, une politique réformiste est


envisagée assurant le dépassement du clivage entre le colonialisme pur et dur d'une part et la sécession immédiate d'autre part, d'où nait après 1944, la décolonisation.


b- Plan de réformes : le Comité d'Action Marocaine.



L'action marocaine a pris plusieurs formes, c'est premièrement était à Paris en 1932, la création de la revue

''Maghreb'', dont le comité de rédaction comprend un certain nombre de Français de gauche où elle publiait des articles exposant du mouvement nationaliste. En 1933, un journal en langue française ''L'Action du peuple'' qui dénonçait les empiètements de l'état protecteur. La création de journaux en langue arabe étant interdite, c'est dans la zone l'espagnole qu'apparaissent les premiers journaux nationalistes rédigés en arabe comme le revue

''As Salam'' et le quotidien ''Al Hayat''42.



Ce brouillement de facteurs politiques trouvait un terrain tout préparé à le recevoir dans les esprits de la jeunesse marocaine, qu'elle soit de culture islamique ou de culture occidentale. En fait les étudiants sortis des grandes universités musulmanes notamment

de la karaouyine à Fès sont des défenseurs de la civilisation arabe et de la religion musulmane orthodoxe, leur profond attachement à ces deux valeurs les rendait hostiles à la civilisation européenne l'occidentalisation des mours marocaines. Le type de ces étudiants est Allal El Fassi: fils d'alem, élevé dans l'atmosphère studieuse de l'université karaouiyne à Fès, il en devint en 1933 l'un des plus

jeunes professeurs bénévoles43.



Tout à fait opposés de ce type de jeunes gens, les étudiants marocains de culture occidentale préfèrent toujours le français à l'arabe, ce simple fait est le signe d'une différence fondamentale entre les deux catégorie de la jeune élite intellectuelle du Maroc, leur attitude en face de la civilisation occidentale n'est pas la négation, mais l'aspiration à assimiler les techniques graces auxquelles une nation peut être qualifiée de "moderne'', et ils se croient capables d'accéder aux postes les plus importants du Maroc

.les représentants de cette catégorie sont Mohamed El-Ouezzani; diplômé de l'école libre des science politiques; et Ahmed Balafrej, diplômé des Hautes Etudes De la Sorbonne44.


En 1934, nait le premier parti politique marocain sous le nom de


''Comité d'Action marocaine'', CAM, et dirigé par Allal Al Fassi, Mohammed Ouazzani. Il est la seule formation politique qui existe pour le peuple marocain. Il est l'interprète et l'avocat des revendications de toutes les classes sociales dont se compose ce peuple. Ainsi par sa composition, sa doctrine son programme et son action, le CAM présente un caractère essentiellement populaire. C'est le dahir berbère de 1930 qui a réalisé l'union des hommes et des idées autour d'un programme minimum : la défense de l'islam contre une tentative d'évangélisation des berbères .mais l'unité réelle reste encore à faire c'est grouper ces hommes en une organisation commune et tirer de ces idées un programme cohérent

et réaliste.

Pour lancer un défi aux autorités du protectorat et aux journalistes français qui les accusent d'être des agitateurs incapables leurs aspirations, la constitution du premier parti au Maroc n'est pas un fait aléatoire, c'est le résultat d'un processus bien ficelé45. Réunis autour d'un plan de réforme, les partisans du comité d'action marocaine ont tout fait pour réussir leur action politique. Autant

que les dirigeants de du mouvement nationaliste et pour doter leur mouvement, ils présentaient au Palais Royal, à la Résidence Général et au Ministère français des Affaires Etrangères un Plan de réformes. Le document, sur une tonalité modéré, résume l'ensemble des revendications présentées par les nationalistes à différentes occasions. Imprimer au Caire en arabe en septembre

1934, puis publié en français le 1er décembre de la même année, le


recueil contient la liste des dix membres46 réunis au sein du Comité et signataires de ce document historique.



L'énonce du programme procéda à une description de la situation, soulignant que '' la crise marocaine a des causes particulièrement internes'', les auteurs du Plan formulèrent de vives critiques contre la politique du protectorat : raciale, fiscalement inique,

obscurantiste.47.



A défaut de la réalisation de la totalité de leurs revendications les nationalistes pensent qu'au moins ils pourront obtenir quelques libertés démocratiques, leur permettant d'éduquer le peuple et d'exprimer plus librement leurs voux. Dans ce but une délégation se rend en France pour prendre contact avec les dirigeants français et leur présenter les revendications du Comité d'Action. Le 25 octobre 1936 un congrès extraordinaire réuni à Rabat arrête un

certain nombre de revendications immédiates : octroi des libertés démocratiques, liberté de presse, de réunion, d'association, de circulation, libertés syndicales, comme susceptibles de créer une atmosphère facilitant la réalisation d'autre réformes.


Le CAM décida d'entreprendre une campagne d'information à travers les principales villes du pays. Il organisa des meetings à Fès et à Salé qui connurent un grand succès. Le 17 novembre 1937, le Comité décida un grand rassemblement à Casablanca où plusieurs orateurs devaient prendre la parole pour réclamer le droit de publier une presse en langue arabe. Mais organisateurs et orateurs furent arrêtés, avec à leur tête Allal el Fassi, Hassan Ouazzani. L'arrestation des leaders du CAM suscita des manifestations à Casablanca, Rabat, Salé, Oujda, Taza et surtout Fès qui aboutirent à

de nombreuses arrestations, suivis de condamnations immédiates48.


L'épreuve de force entre la Résistance et les Nationalistes est engagée : partis et journaux sont interdits, les dirigeants arrêtés souvent après de nouveaux heurts comme à Kenitra, à Fès ; Allal El Fassi est déporté au Gabon, Mohammed Ouazzani mis en résidence surveillée au Sahara.


Ces divisions n'ont affecté en rien la virulence du mouvement nationaliste qui s'est retrouvé au contraire plus violent qu'auparavant. Elle résulte également des succès remportés par les

nationalistes sur le plan de l'organisation.


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